-246 –6e jour du printemps - Epire – Arachtos – Est de la province de Prevezza.
Le roi Acrotatos de Sparte resta impassible tandis qu’il contemplait le visage grimaçant du prêtre penché sur les entrailles du chevreau qu’il venait d’immoler.
Les viscères de ce dernier étaient souillés. Sans l’ombre d’un doute.
-« Ô Roi ! Les Dieux ne nous sont pas favorables ! Ils nous disent que nous sommes bien trop loin de Sparte pour combattre ! » croassa l’officiant.
-« Que Zeus me foudroie si demain je marche ! » compléta immédiatement le vieux Xénophon. « Dévoué autant aux présages qu’aux Ephores… » songea Acrotatos, tandis que le vieux stratège spartiate continuait.
-« Demain sera une journée consacrée aux Dieux ».
-« Demain, nous marcherons avec nos alliés. » affirma le roi de Sparte en ajustant sa cape.
-« Mais, ô Roi, les présages sont formels ! Nous devons honorer les Dieux et ne pas nous aventurer dans cette sauvage contrée sans leur bénédiction » affirma le prêtre en levant un doigt long et tortueux.
Le jeune chef de la Ligue du Péloponnèse bouillonnait ! Que ne pouvait il pas étrangler cet imbécile de devin. Il savait quel jeu jouait ce dernier. Celui des Ephores, celui de la sclérose d’une Cité qui méritait mieux que ces vieillards aigris et conservateurs.
Mais un spartiate obéissait aux lois. Fut il le roi !
-« Xenophon honorera les Dieux demain. Que ton armée reste sur la plage, Strategos. Je marcherais avec mes troupes aux côtés d’Athènes et de Carthage. Les étoliens d’Aratos seront là demain également. » conclut il en se forçant au calme.
-« C’est le début de la voie de la sagesse, ô Roi ! Mais les Dieux s’en contenterons ils ? » psalmodia, de nouveau, de sa voie aigrelette le prêtre.
-« Majesté, un messager d’Attalus » annonça Nicanor, le capitaine de la Garde du Roi.
L’officier corinthien ôta son casque et se frappa la poitrine pour saluer le souverain.
-« Roi Acrotatos. Attalus à été désigné par Acestorides pour commander les forces navales restées pour appuyer l’armée. La flotte est partie au nord à la poursuite des romains et.. ; »
-« Des romains ! ? » l’interrompit le roi.
-« Ils sont arrivés hier, avec plus de 150 voiles Lagides et autant de Syracusaines, près de 400 vaisseaux en tout ! » cracha l’officier.
Avec un violent effort, le marin reprit plus posément.
-« Nous leur avons interdit l’entrée de la passe et ces chiens n’ont pas osés nous attaquer ! Mais ils ont empêchés le débarquement de Hannon au nord, vers Kanalis. Ce matin, Himilcon, esseulé à été écrasé à Archangelos tandis que Polyperchon, prenait d’assaut Prevezza et battait Chrémonides par une attaque surprise ! Les armées de Cratère marchent sur vous ! Elles seront là demain. Il faut rembarquer conseille Attalus, avec tout le respect qu’il vous doit. »
-« Merci à toi » reprit calmement le roi Lacédémonien. « Restaures toi, je vais convoquer un conseil avec les autres généraux ». Le roi Acrotatos s’éloigna d’un pas lourd
-« Les Dieux nous l’ont dit ! » triompha le prêtre…
-246 –7e jour du printemps - Epire – Arachtos – Est de la province de Prevezza.
-« La position est bonne. Entre les marais et l’Araxthos potamos. Si nous devons arrêter les macédoniens c’est ici ».
Amilcar Barca chercha le regard du roi Acrotatos. Ce dernier, magnifique dans son armure polie et sa cape rouge, acquiesça.
Le punique reprit.
-« Xenophon, tu rembarqueras le premier avec toutes les troupes de la Ligue, sauf la garde Sarinas que ton roi garderas avec lui, puis ce sera le tour de Nicias. Aratos, tes troupes sont encore à l’est de l’Araxthos Potamos. Tu pourras rétrograder aisément jusqu’en Etolie. Avec le roi Acrotatos nous tiendrons toute la journée.
Le Navarque Attalus m’à assuré qu’il pourrait nous embarquer durant la nuit et qu’il tiendrait la passe d’Aktion. Les macédoniens sont maîtres de Prevezza mais n’ont pas encore les moyens de chasser nos navires du détroit. »
-« Majesté, j’enrages de devoir rembarquer, mais la raison commande. Il y aura d’autres combats, d’autres victoires » ne put s’empêcher de dire Nicias. Le stratège athénien enrageait, effectivement, de devoir rembarquer, mais en mesurait toute la nécessité. Athènes avait besoin de son armée !
Les Strategos se séparèrent. Nicias et Xenophon chevauchèrent vers le sud et les plages, Aratos vers l’est et les montagnes d’Etolie. Amilcar et Acrotatos vers leur mission de sacrifice.
Déjà l’armée macédonienne, imposante et victorieuse débouchait dans la plaine.
-« Je chargerais avec mes Celtes et mes Ibères. Leur choc désorganisera les macédoniens. Cela nous donnera du temps. Ce sera ensuite à toi de les retenir, tandis que je décrocherais. Mes Numides seront là pour couvrir ta retraite. Car tu retraiteras bien, Roi de Sparte ? Nous avons encore de nombreux combats à mener et tu en seras ! » précisa Amilcar Barca.
Acrotatos se préparait à répondre quant un violent tumulte se fit entendre dans les rangs macédoniens.
La ligne de bataille de l’armée de Macédoine, sarisses levées et lances brandies, acclamait un cavalier, vêtu d’une somptueuse armure ouvragée dont l’or resplendissait sous le soleil printanier.
Le cavalier, tête nue et suivit d’une dizaine de cavaliers passa devant les rangs au trot. Sa cape noire flottant derrière lui. Les acclamations redoublèrent.
« Cratèros ! Cratéros ! Niké ! Niké !* ». Les hurlements, pareils à une vague profonde et puissante, parvinrent jusqu’aux chefs alliés. Puis, tandis que le cavalier et sa suite faisaient volter leurs montures pour passer de nouveau devant le front des troupes, les cris se firent plus puissants.
« Alexandros ! Alexandros ! Niké ! Niké ! ».
« Le Roi Cratère est donc bien mort. La rumeur était vraie. C’est son fils Alexandros qui nous fait face. Il devra venir chercher sa première victoire en roi » tonna Acrotatos.
Obéissant aux sonneries de trompes, les phalanges macédoniennes se mirent en mouvement. Amilcar Barca passa, tranquillement, au milieu des unités Celtes et Ibères dissimulées à contre pente derrière la crête qui les masquaient aux yeux de l’ennemi.
Le chef punique passa à travers les lignes, parlant avec un ambact sénon, plaisantant avec un vétéran ibère.
Et, tandis que la lourde ligne macédonienne continuait sa progression, il revint, ainsi, jusqu’à la crête. Les phalanges entamaient la légère ascension de la colline.
Amilcar leva le bras, tandis que les carnyx et les trompes de guerre sonnaient.
L’infanterie celte et ibère se dressa comme un seul homme et couronna la crête. Ses cris de guerre et le roulement des épées sur les boucliers descendirent en roulant vers les phalangistes.
Puis les guerriers chargèrent dans la pente ! Moins d’un stade plus bas, ils percutèrent le front ennemi. Les premiers rangs s’empalèrent sur les sarisses mais l’onde de choc se propagea bientôt jusqu’au cœur des phalanges qui stoppèrent puis reculèrent imperceptiblement.
Mais déjà arrivaient sur les flancs, mêlés et frappant de concert, les Hipparchies de la cavalerie lourde macédonienne et les Hypaspistes et autres Chalkaspides.
L’attaque de l’infanterie mercenaire punique était enrayée et celle-ci dut reculer. Elle le fit dans un ordre très relatif et repassa la crête, contournant comme un reflux un rocher de cape rouges et de boucliers noirs. La Mora de la garde Sarinas de Acrotatos.
Profitant du léger répit que lui donnait l’ennemi qui réorganisait ses rangs, le jeune roi de Sparte vint se placer au premier rang. Il était entouré des meilleurs soldats de Sparte et ne rentrerait dans sa cité que sur son bouclier !
Le roi sentait qu’il devait parler à ses hommes qui allaient mourir.
-« Spartiates ! Ici serons nos Thermopyles ! »
Les hommes frappèrent de leurs lances leurs hoplo. Grondement rythmé et rassurant.
Mais déjà s’avançaient les peltastes macédoniens, bardés de javelots.
-« Les javelots vont bientôt nous cacher le soleil » commenta un gigantesque hoplite qui prenait place à côté du roi dans le rang. Menekes. Champion olympique, guerrier de Sparte et gloire de sa Cité. Se plaçant devant son souverain il poursuivit.
-« J’ai toujours préféré me battre à l’ombre ! Les Dieux sont avec nous ! » Plusieurs rires lui répondirent tandis que les boucliers s’imbriquaient les uns dans les autres avec une précision parfaite.
La première rafale de javelots frappa alors. Des hommes tombèrent. Sans un cri.
Après plusieurs tirs, les peltastes Thraces cédèrent la place aux phalanges. Celles-ci, arrivées à quelques coudées chargèrent.
Les sarisses déchirèrent les premiers rangs de la phalange spartiate. Mais les Gardes Sarinas resserrèrent les rangs, absorbèrent la poussée puis, épaule contre épaule, inversèrent le sens de celle-ci, tandis que, une fois passé le mur de sarisses, leurs lances semaient la mort chez les macédoniens.
Ceux ci reculèrent inexorablement. Mais, avec la ténacité de leur race, à peine arrivée en bas de la colline, ils remontaient la pente pour se heurter de nouveau au mur spartiate.
Pendant plusieurs heures, ce sanglant scénario se répéta. Entrecoupé de rafales de traits décochés par les peltastes Thraces.
A chaque impact, le gigantesque Menekes protégeait son roi et déviait les Sarisses qui le visait.
La phalange spartiate se rétrécissait au fur et à mesure que les hoplites tombaient. Bientôt ont du passer sur 3 rangs de profondeur, puis deux, afin d’éviter l’encerclement qu’aurait permit un front réduit.
C’est à ce moment là que, sur une nouvelle charge, la phalange macédonienne brisa la ligne spartiate de tout le poids de ses 8 rangs et de toute la fureur accumulée par les échecs répétés.
Atteint à l’épaule droite par une sarisse, le roi Acrotatos tomba ! Il allait être prit !
C’est alors que, tel un titan, Menekes sauta par-dessus son corps et renversa les sarissophores qui se précipitait pour cette capture prestigieuse.
Dans un hurlement venu du fond des ages, l’Hoplite se rua sur les rangs ennemis et les força à reculer.
Plusieurs spartiates se précipitèrent et ramenèrent le roi en arrière. Percé de plusieurs sarisses, Menekes avança encore quelques mètres et crispa ses mains sur le cou d’un malheureux macédonien qu’il emmena avec lui chez Hades…
Les survivants de la Mora de la garde Sarinas reculèrent en profitant de cette accalmie. Les cavaliers numides de Amilcar survinrent alors pour barrer le passage à l’infanterie légère macédonienne qui tentait de se lancer à la poursuite…
Crateros d’Ephese fit alors donner sa cavalerie lourde. Les Numides se dérobèrent devant la charge et criblèrent de traits les flancs du coin adverse.
Grâce à leur sens de la manœuvre et profitant du terrain favorable,les Numides ralentirent la poursuite jusqu’à la nuit.
Amilcar embarqua le dernier en fin de soirée. Les macédoniens, une nouvelle fois victorieux, s’étaient arrêtés avant les plages, stoppés par l’obscurité.
Le Roi Acrotatos de Sparte avait quitté le champ de bataille sur son bouclier. Mais les Dieux ne voulurent pas lui. Il se réveilla, tandis que son navire accostait à Corcyre…
Corcyre. De la bouche même de Xenophon il apprit que Ioanina s’était rendue aux premiers jours du printemps…
La campagne de printemps en Epire se terminait par une victoire macédonienne (victoire mineure) mais aussi et surtout par les chutes de Prevezza et de Ioanina. Ces deux provinces passant sous contrôle macédonien.
Cratère avait vu son rêve réalisé avant de mourir !
On dit que, en Doride, l’armée de Pergame à mis le siège devant la forteresse de Erinos. Celle-ci tient pour l’instant…
Que sera l’été en Grèce ? Même les Dieux ne le savent pas ….
*Niké ! Il ne s’agit pas d’une pub ou de l’utilisation d’un mot d’argot bien connu… En grec cela signifie « Victoire ! »