HJ : Merci au Roi des Rois pour ce magnifique RP ! Les Dieux en redemandent !!
I L'enfant et l'inconnu
Argapès, fils de Mikrios, le capitaine de la garde royale séleucide, attendait le retour de son père avec impatience. L'expédition de chasse aux tigres organisée par Antiochos II, expédition à laquelle toute la Cour et les satrapes locaux se devaient de participer afin d'entrer dans les bonnes grâces d'Antiochos Ier.
Le groupe aurait déjà dû rentrer depuis cinq jours maintenant. La tension montait, dans la belle cité Séleucie du Tigre. On sentait que l'agitation avait gagné toute la milice de la ville. Les gardes étaient plus nerveux, plus pressés de finir leurs tours de ronde, plus enclins à la brutalité contre la population qu'ils étaient chargés de protéger.
La violence quotidienne n'arrivait pas à entacher la beauté de la grande Séleucie du Tigre. Mikrios avait vu la fin des travaux quand il était enfant et avait tout raconté à Argapès. Le petit enfant de huit ans n'arrivait pas à s'imaginer les dizaines de milliers de soldats grecs, bâtissant une ville plus grandiose que Babylone, symbole éternel de la suprématie des rois perses barbares. La fière ville avait été bâtie par l'armée de Séleucos Ier Nicâtor, fondateur de la Dynastie des séleucides, dans le but d'asseoir son autorité dans toute la région, de confirmer la supériorité de la civilisation grecque sur les barbares et de montrer qu'aucun retour en arrière ne serait possible.
La solde que recevait Mikrios ne suffisait pas à nourrir sa famille de cinq enfants. Argapès gagnait un peu d'argent en travaillant comme garçon d'écurie. Et, la veille, il avait vu cet homme portant l'armure dorée distinctive de la garde royale à cheval, tous deux couverts de sueur et assoiffés. L'enfant dû s'occuper de la monture qui avait apparemment couru de longues bornes sans s'arrêter, cela s'entendait au souffle du cheval, qui était court et plus sifflant qu'à la normale.
Depuis lors, le jeune enfant se demandait si cet homme si pressé savait ce que les autres ignoraient. Officiellement, aucun messager n'était parvenu à Séleucie du Tigre. Malgré l'obscurité, Argapès avait pu remarquer que le fourreau dans lequel l'inconnu devait normalement placer son épée était vide, et que son bras droit état en sang. En lieu et place de son aspis, le soldat tenait un paquet duquel un parchemin était tombé dans sur le sol de l'écurie.
Désireux de bien faire, Argapès voulu ramasser le message, mais il reçu une telle gifle qu'il en perdit l'équilibre et s'effondra dans la bouse de cheval séchée. Le garde royal le saisit, le souleva du sol et la plaqua contre le mur en bois. Il sortit une fine dague qui avait échappé à la vigilance de l'enfant et la plaça sur sa gorge. Seuls les hennissements des chevaux paniqués par l'agitation le tirèrent de sa fureur. Il relâcha ensuite Argapès, comprenant qu'un enfant d'écurie de huit ans ne savait pas lire. Apparemment rassuré, il rangea son arme, repris le message et s'en alla après avoir fit promettre à Argapès de ne répéter à personne ce qu'il s'était passé.
De son côté, Argapès était incapable de prononcer le moindre mot : il n'avait pas crié lorsqu'il reçu la gifle ni pleuré quand sa vie était menacée. Un rapide hochement de la tête contenta l'inconnu, qui quitta le bâtiment pour disparaître dans l'obscurité de la nuit.
II Un pays sous verrous
Cela faisait déjà dix jours que l'expédition royale aurait dû rentrer. Depuis la venue du cavalier, les lourdes portes de la ville de Séleucie du Tigre étaient continuellement fermées. Les gardes interdisaient à quiconque de s'en approcher, les patrouilles avaient été doublées et le couvre-feu avait été instauré.
La nervosité de la milice avait rapidement atteint toute la population de la ville. Sans savoir pourquoi, les mères interdisaient aux enfants de s'éloigner, des provisions de vivres et d'eau étaient stockées et les citoyens trop pauvres pour s'acheter des esclaves pour protéger leur domicile préféraient rester chez eux plutôt qu'aller travailler. Les rumeurs les plus folles circulaient, on disait que les parthes attaquaient, que la guerre avec les Egyptiens avait été déclarée ou que les carthaginois avaient débarqué en Syrie-Coelé.
Le fait était qu'aucun citoyen ne savait ce qu'il se passait. Il était évident que quelque chose de grave était sur le point d'arriver, mais les gardes restaient désespérément muets, sans doute faisaient-ils semblant d'en savoir plus qu'ils ne le savaient vraiment.
Depuis cinq jours, les portes de la ville étaient fermées. Elles ne s'ouvraient que pour laisser entrer ou sortir des cavaliers rapides, des messagers. Ils quittaient le palais royal et traversaient la ville au grand galop, pour éviter de se faire accoster par les gens et de se faire bombarder de questions. Le petit Argapès était lui-même chargé d'apporter les chevaux au palais et de supporter les regards désapprobateurs des gens qu'il croisait.
La situation n'était plus tenable. La population grondait de plus en plus, à l'extérieur de la ville, un camp temporaire de toiles avait spontanément vu le jour. Ces marchands, voyageurs et fermiers venus vendre leurs productions en ville étaient refoulés, alors que les vivres commençaient à manquer à l'intérieur des murs. Des émeutes se produisaient tous les soirs.
Une nuit, le gouverneur, Theobalde, se rendit compte qu'il risquait l'insurrection générale. Il avait été réveillé par ses serviteurs et dû, en habit de nuit, diriger la cinquantaine de gardes du palais contre des centaines d'émeutiers. Cette nuit là, il dû ordonner la charge pour disperser la foule en colère. Cette nuit là, vingt-trois séleucides étaient morts.
Le combat fut terrible. Du toit d'un bâtiment administratif, Argapès ne manqua pas le terrifiant spectacle qui s'était déroulé sous ses pieds. Les gardes étaient rassemblés en haut des marches qu'il fallait gravir pour atteindre le palais, verrouillé de l'intérieur par les serviteurs. Pour eux, il n'y avait pas de retraite possible, la peur se lisait dans leurs yeux. Le gouverneur était posté au balcon réservé à la famille royale. Cela aurait pu passer pour un sacrilège en temps normal, mais les circonstances exceptionnelles exigeaient des mesures tout aussi exceptionnelles. De son balcon, il aboyait ses ordres à ses hommes. Ils durent charger deux fois pour enfin réussir à calmer la foule.
L'enfant n'avait jamais vu quelqu'un mourir. Après la première charge, il compta les morts, il y en avait cinq, les gardes avaient pris la précaution de ne frapper qu'avec leurs aspis, leurs boucliers, ce qui déchaîna la colère de Theobalde. Fou de rage, il quitta son balcon pour rejoindre ses hommes. Sans autre protection que sa robe de nuit, il mena la charge contre la population séleucide, obligeant les gardes à utiliser leur xíphos, leur épée courte. Argapès vomit toutes ses tripes quand il vit les effets de la seconde charge. Il s'évanouit quand il vit un homme parmi la foule se faire sectionner le bras.
Argapès se réveilla le lendemain matin, sous la pluie. Il était donc toujours sur le toit du bâtiment ! L'eau du ciel n'avait pas seulement trempé le petit garçon, elle avait aussi nettoyé la place sur laquelle s'était déroulé le massacre de la veille. Theobalde, qui s'était vraisemblablement décider à communiquer avec la population, était à nouveau sur le balcon royal. Il parlait à la foule, cette fois pacifique, rassemblée sur la place.
Le fils de Mikrios tendit donc l'oreille pour entendre ce que tout le monde entendait...
"Mes amis, l'heure est grave ! Nous avons appris que l'escorte de notre bon souverain, Antiochos Ier, a été attaquée alors qu'elle revenait de sa partie de chasse. Les dieux l'ont repris à lui il y a deux jours déjà.
Certaines des Hautes Satrapies sont responsables de ce tragique événement. Le satrape Morinès a déjà été capturé et exécuté. Il avait donné des instructions à son armée, elle était chargée d'éliminer Antiochos Ier et son fils héritier, Antiochos II, ainsi que s'assurer le contrôle de Babylone et de Séleucie du Tigre, afin d'empêcher le couronnement d'un nouveau Roi des Rois et qu'il puisse rendre sa satrapie indépendante.
Ne sachant pas jusqu'où remonte la machination, si d'autres satrapes sont impliqués dans ce coup d'état, des instructions très strictes ont été données à toutes les villes. Elles doivent être verrouillées et ne s'ouvrir qu'à partir du moment où l'autorité du nouveau Roi des Rois, le petit fils d'Antiochos Ier, Séleucos II Kallinikos, sera rétablie et sûre.
Séleucos II est actuellement en route pour notre ville, où il prendra le titre de régent successeur, ne pouvant pas devenir roi tant que ses aieux ne sont pas en terre. Dès que ce sera fait, il sera nommé Roi des Rois.
Conformément à mes instructions, les portes de notre ville resteront verrouillées jusqu'à l'arrivée de Séleucos II.
Priez pour le salut de l'âme d'Antiochos Ier, de celle de son fils".
Le gouverneur quitta son balcon et la foule resta un bon instant sans bouger, sans savoir comment réagir. Peu à peu, elle se dispersa dans le plus grand silence. Dès le lendemain, tous les habitants se décidèrent à porter l'habit de deuil et à faire des offrandes généreuses aux dieux grecs et barbares.
III Un héros pour deux morts
Quelques jours après le discours de Theobalde, l'escorte royale, réduite de moitié, revenait à Séleucie du Tigre. Du haut des remparts, Argapès jubila en reconnaissant la silhouette de son père, Mikrios. Les hommes ramenaient les corps d'Antiochos Ier et de son fils en ville. Les rites funèbres pourraient enfin être célébrés, les morts pourraient enfin trouver le repos éternel.
La cité se transforma du jour au lendemain. Les portes furent exceptionnellement rouvertes et les marchandises purent à nouveau réapprovisionner le marché. L'ambiance insurrectionnelle passa, et la tristesse du deuil se fit plus évidente.
Mikrios et ses hommes passèrent la soirée à la taverne, assiégés par les questions des curieux et des ivrognes. La tension montait une fois de plus : les soldats, nerveux et fatigués, perdaient patience, à force de répéter les terribles heures qu'ils avaient passées.
En voyant cela, Mikrios prit ses responsabilités de capitaine de la garde impériale : le sang avait assez coulé ! Il monta sur une table, renversant les verres pleins de tord-boyaux et bousculant un homme qui s'y était endormi. Le silence se fit rapidement, chacun comprenant qu'il allait prendre la parole.
"Toute la noblesse des environs est partie à la chasse aux tigres, comme vous le savez. Tout se passait comme convenu, on avait même deux jours d'avance sur le programme, nous pensions pouvoir rentrer plus tôt à Séleucie du Tigre... Jusqu'à cette nuit, où des cavaliers ont pénétré à l'intérieur du camp de toiles que nous avions dressé à la hâte.
Je dormais dans la tente des officiers, quand les premiers cris m'ont réveillé. En sortant de ma tente, l'arme au poing, je compris que nous étions attaqués. Nous étions complètement dépassés par le nombre, il était impossible de défendre tout le monde. J'ai alors ordonné de cerner la tente impériale, qui se situait au centre du campement. Rapidement, nous nous sommes mis en position, protégeant notre bon souverain.
C'est à ce moment qu'il nous dit que son fils n'était pas avec lui, qu'il était dans une autre tente avec l'une de ses nombreuses esclaves et maîtresses macédoniennes. Avec douze hommes sûrs, je me rendis sur place, nous ouvrant un passage à travers toute la noblesse séleucide paniquée et les troupes ennemies... Antiochos II est mort sous mes yeux... A ma grande honte, ses assassins ont même eu le temps de lui couper un doigt pour lui voler un de ses bijoux.
Mais il a été vengé, tous sont morts sur place, j'en fais le serment ! On a récupéré l'anneau, et rapporté le corps à l'Empereur. Fou de rage en le voyant, il a quitté sa tente et la protection de la garde impériale, se jetant sur l'ennemi. Il nous a été impossible de le retenir, il est mort sous les coups d'un perse que nous avons capturé et torturé.
Par la suite, cet homme nous a révélé qu'il travaillait pour le satrape Morinès, qui a lui même été arrêté. A ma connaissance, il y a actuellement une enquête, dont le but est de découvrir s'il a agit seul ou avec d'autres nobles. "
Lorsqu'il faisait un discours à ses hommes, Mikrios avait l'habitude de terminer par une phrase encourageante, propre à donner l'espoir aux soldats, à les faire rire ou crier leur amour pour leur Empereur. Ici, rien ne venait. Un lourd silence retomba sur la taverne et le capitaine finit par descendre de sa table sans conclusion. Raccompagné par son fils qui l'attendait près de la sortie, il rejoignit sa femme, à qui il devrait sans doute raconter les événements une fois de plus...
IV Comme une mère morte en couche...
Toute la Séleucie du Tigre avait été nettoyée, les fleurs les plus belles et les draps les plus fins ornaient toutes les habitations, les vins les plus chers coulaient à flots ininterrompus. Argapès avait vu pour la première fois de sa vie des girafes et des lions. Ils étaient entrés la veille, sous les yeux ébaihis de toute la population.
Séleucos II était entré en ville depuis une semaine déjà. Il avait commencé par inhumer son défunt père. Les pleureuses s'étaient alors succédées par dizaines -par centaines, disaient certains- pleurant toutes les larmes de leurs corps. Le petit Argapès avait vu le cortège passer dans toutes les rues de la ville. Tous étaient habillés en noir et avaient la mine basse. La tristesse était visible sur tous les regards. Au moment où le corps du Roi des Rois était passé devant lui, les larmes ont perlé à ses yeux et il avait senti son estomac se nouer. Tant de cérémonies pour un seul homme ! Une seule explication, il était bien le successeur d'Alexandre Mégas.
Une fois la nuit tombée, la ville avait été complètement transformée. Nul n'avait réussi à trouver le sommeil, exception faite des vieillards et des enfants. Les gens du gouverneur Théobalde étaient passés dans toutes les maisons, ordonnant que telle ou telle fenêtre soit décorée, que les ordures soient rentrées à l'intérieur ou que la rue soit balayée. L'atmosphère de deuil n'était pas encore dissipée qu'ils préparaient déjà le couronnement de Séleucos II.
Il était de coutume de maintenir une semaine de deuil à la mort d'un roi. Aussi grand avait été Antiochos Ier, il n'aura eu qu'une seule journée. Le pays était en guerre, il était inconcevable que le pays reste sans roi.
D'après les juristes, le pays ne restait pas tout à fait sans roi. Légalement, même décédé, Antiochos Ier Conservait son titre de Roi des Rois jusqu'à ce qu'un autre soit désigné, à moins qu'un Conseil ne régence ne soit mis sur pieds. Les ministres avaient donc connu des situations étranges, comme un Conseil présidé par le cadavre d'Antiochos. Il était là, allongé dans son cercueil et son trône était resté inoccupé. Bien entendu, dans les faits, Séleucos II avait dirigé les débats. Mais tout cela échappait à l'esprit encore enfantin d'Argapès.
Le lendemain matin, tous arboraient des vêtements colorés, le pain était distribué gratuitement et les portes du palais du gouverneur étaient ouvertes à tous. Les jongleurs, comédiens et autres artistes ambulants étaient à tous les coins de rue, les tavernes étaient pleines au matin déjà. Les aubergistes les plus retors en affaires avaient même loué les jardins des habitations voisines, afin de pouvoir accepter plus de clients.
Argapès ne savait plus ce qu'il devait ressentir. Devait-il être heureux ou triste ? L'ambiance de la ville était pour lui incompréhensible : la veille encore, tous pleuraient, s'arrachaient les cheveux et étaient vêtus de noir, aujourd'hui, les mêmes personnes rient, chantent, jouent et boivent à volonté.
Au moment de l'intronisation, tout le monde se rassembla sur la place centrale de la ville. Séleucos II avait insisté pour s'y faire couronner, malgré les protestations de la noblesse conservatrice des traditions. Argapès s'y rendit, comme tous les habitants libres de la ville. Tout au long de la cérémonie, les mêmes questions tourmentaient son esprit : que devait-il retenir de ces derniers événements ? Joie ou tristesse ?
Quand la foule acclama Séleucos II maintenant coiffé de sa couronne, Argapès comprit enfin ce que les gens ressentaient ! Il y vit une comparaison avec la voisine, Meta, qui avait accouché il y a deux ans. Elle avait mis au monde un magnifique garçon, qui faisait la fierté de son père. Malheureusement, Meta était aussi morte en mettant bas...
[i]Sources :
Les Vies de Plutarque
Les Ptolémées, Pharaons d'Egypte
L'énorme savoir et patience de notre cher MJ Appollon Pythien (un grand merci à lui, qui a corrigé, commenté et soutenu ce rp)
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